Interview de Ozgur Asik, avocat d'affaires français à Istanbul

Interview de Ozgur Asik, avocat d'affaires français à Istanbul

INTERVIEW : "Ce que le patronat turc pense ..."

http://www.challenges.fr/economie/20130605.CHA0428/ce-que-le-patronat-turc-pense-d-erdogan-et-des-manifestants-qui-s-opposent-a-lui.html 

Pour Ozgur Asik, avocat d'affaires français à Istanbul, les dirigeants d'entreprises comme les investisseurs étrangers apprécient surtout la stabilité politique qu'assure le pouvoir actuel. 

La contestation sociale en Turquie inquiète-t-elle le patronat turc ?

A ce stade non. J'ai évidemment évoqué cette crise avec des confrères et des clients qui dirigent des sociétés cotées en Bourse. Nous partageons le même point de vue:  la contestation à laquelle nous assistons s'adresse à la personne du Premier ministre et pas au gouvernement. Ceux qu'on appelle les Turcs blancs - des citadins, des laïcs qui partagent les valeurs de la culture occidentale et plus largement la bourgeoisie- en ont assez de ce Premier ministre arrogant qui appuie son pouvoir sur la frange la plus conservatrice du pays. Ces dernières semaines, il a multiplié les annonces : interdiction de la consommation d'alcool dans la rue, fermeture de cinémas, débat autour de l'avortement… Erdogan a même annoncé dans un discours que chaque famille du pays se devait d'avoir 3 enfants. Cette immixtion dans la vie privée a provoqué un ras le bol qui s'exprime aujourd'hui dans la rue. Mais on ne peut pas parler pour autant de Printemps turc.

 

Le souffle va donc retomber ?

Le numéro 2 du régime a tenté de calmer le jeu en s'excusant auprès des manifestants pour la violence exercée par les forces de l'ordre. Je pense que son message d'apaisement a été entendu. Ce qu'attendent les manifestants, c'est qu'on prenne en compte leur ras le bol, qu'on cesse de les mépriser.

 

Le patronat turc partage-t-il ce ras le bol ?

Sans être favorable à Erdogan sur le plan idéologique, la majorité des dirigeants d'entreprise soutient la stabilité politique qu'il a permis d'assurer au pays.  Le fait qu'il y ait aujourd'hui en Turquie un Premier ministre fort et un parti qui l'est tout autant constitue un atout sur le plan économique.  

 

Et les investisseurs étrangers ?

Ils sont également pragmatiques. Le Premier ministre ne leur est pas sympathique. Ils ne partagent pas ses idées mais ils apprécient la stabilité politique qu'il a su instaurer. A cela s'ajoute l'intérêt que suscite les grands projets du pays. On en dénombre 25 qui  dépassent les 2,5 milliards de dollars : le nouvel aéroport d'Istanbul qui sera l'un des plus grands du monde, un réseau de train à grande vitesse, deux centrales nucléaires, le creusement d'un canal près de la frontière avec la Bulgarie… Songez que ce projet pharaonique qui prévoit de faire transiter le trafic de marchandises à l'est d'Istanbul doit permettre au Bosphore d'être un lieu de baignade pour les Stambouliotes. Cela va changer en profondeur la physionomie de la ville. Et pour les investisseurs étrangers, tous ces projets sont évidemment des marchés à conquérir.

En janvier le gouvernement a introduit une loi punissant de prison ferme les "spéculateurs". Or la bourse a fortement réagi au mouvement de contestation sociale. Même la publication de nouvelles, de commentaires ou d'études ayant pour objet d'orienter les cours à la hausse ou à la baisse à la Bourse ­d'Istanbul peut conduire en prison leurs auteurs. Y-a-il un risque que les mouvements observés ces derniers jours sur les marchés financiers donnent lieu à des injonctions judiciaires ?

A ce jour aucun procureur n'a ouvert d'instruction sur ce fondement. Appliquer le texte dans ce cadre diluerait le sens de la loi. Son objectif est de combattre les délits d'initiés. Et peut-être aussi de donner davantage de pouvoir à la justice. C'est une façon pour le pouvoir en place de donner des gages aux procureurs. Cette loi s'inscrit également dans un cadre plus large. Le code du commerce a été réformé en profondeur pour apporter plus de transparence et plus de souplesse. On peut par exemple désormais créer des sociétés avec un seul actionnaire alors qu'auparavant, il n'existait que deux statuts : la SARL et la SA. Mais désormais les entreprises doivent à partir d'un certain niveau de chiffre d'affaires publier leurs résultats sur leur propre site internet.

 

C'est une obligation virtuelle ou réelle ? Que risquent celles qui ne s'y plient pas?

On l'ignore pour le moment. Le gouvernement ne se presse pas d'aborder ce sujet. Mais je ne pense pas qu'on verra un jour un dirigeant d'entreprise mis en prison pour ne pas avoir publié ses comptes comme la loi lui  fait obligation.